Neurosciences et conscience : Physique classique et physique quantique

26/10/2015


    Rappelons, en le résumant d'une formule, le "problème difficile" posé par le philosophe australien David Chalmers: 
"Comment quelque chose d'aussi immatériel que la conscience peut-il émerger de quelque chose d'aussi inconscient que la matière" .

Et notons au passage que cette question pose a priori que la conscience émerge de la matière, ce qui est précisément remis en question par Henry Stapp. En effet, la théorie matérialiste qui veut que la conscience "émerge" de l'activité du cerveau - et "se réduise" finalement à celle-ci - n'a jamais eu de démonstration probante. Par exemple, on n'a jamais pu construire un ordinateur si perfectionné qu'il devienne "conscient".

Pourtant c'est la métaphore que retiennent les tenants de cette théorie, qui n'est finalement qu'une hypothèse.

Une hypothèse alternative est de considérer que la conscience n'est ni une illusion, ni un simple "produit" de l'activité du cerveau, mais une entité à part entière, dont la nature ou le «support», s'il existe, reste à découvrir. Si le cerveau ne produit pas la conscience, en serait-il le filtre ou le récepteur, comme un poste de radio qui reçoit les ondes électromagnétiques et en extrait le signal ?

Pourquoi la physique quantique est-elle utile dans ces réflexions ? Parce que dès son origine, il est apparu qu'un phénomène quantique ne se produisait que lorsqu'il était observé, et restait indéterminé tant qu'il ne l'était pas.

Le rôle de l'observateur est donc central.

Et observer, c'est devenir conscient de quelque chose. Si la conscience (de l'observateur) est essentielle à la compréhension de la physique quantique, alors la physique quantique est probablement essentielle à la compréhension de la conscience ! C'est ce que pensent de nombreux chercheurs depuis des décennies.
 

Une image vaut mille mots : Un même objet peut donner des images différentes suivant l'angle d'observation !

Des phénomènes quantiques dans le cerveau ?

Physicien de l'université de Berkeley en Californie, Henry Stapp est de ceux-là. Il a travaillé en Europe avec des monstres sacrés tels que Wolfgang Pauli ou Werner Heisenberg, et la question du lien entre conscience et physique quantique le taraude depuis le lycée, avoue-t-il dans son livre Mindiù! Universe (Lunivers conscient), paru en 2007.
Henry Stapp est aujourd'hui l'auteur d'une théorie qui lui vaut une forte reconnaissance parmi les spécialistes de ces questions, notamment parce qu'il s'appuie sur une interprétation orthodoxe de la mécanique quantique et non sur une version "exotique" de celle-ci. En fait, il ne se contente pas de "d'interprétation de Copenhague", qui est la version la plus communément admise de la physique quantique, mais il se réfère aux travaux du grand mathématicien John Von Neumann.

Henry Stapp commence par une observation simple:
les neurosciences contemporaines sont fondées sur la biologie et la physique classique, et ignorent la physique quantique. C'est à ses yeux une première absurdité puisque le cerveau, composé de molécules, puis d'atomes et donc de particules, est nécessairement le siège de phénomènes quantiques. De plus, il est montré que la libération des neurotransmetteurs au niveau des synapses (zone de jonctions entre les neurones) est commandée par l'action "d'ions calcium" dont la taille est d'un nanomètre.Ces ions transitent par des canaux dont le diamètre se réduit également à cette taille, au plus fin. A ces échelles, les phénomènes qui se produisent sont de nature quantique, avec leur cortège d'indéterminisme, d'états superposés, puis de phénomène de décohérence qui aboutit à un état plutôt qu'un autre.
Le principe d'incertitude lié aux états quantiques serait ainsi présent au coeur de la mécanique cérébrale. Cela voudrait-il dire que notre cerveau constitue un outil nous permettant l'accès à un "espace quantique" indépendant du temps et de l'espace, et fondamentalement indéterminé? Mais alors la conscience dans tout ça ?

Le choix de l'agent conscient

Le premier point clé de la théorie de Stapp est directement emprunté à Von Neumann. Là où l'interprétation de Copenhague refuse de faire entrer l'observateur dans le système quantique, l'interprétation de Von Neumann le fait. Selon lui, avant toute mesure ou observation d'un phénomène quantique, l'observateur fait un choix conscient qui concerne l'objet de la mesure. Il s'agit en fait simplement de la question à laquelle l'observation est censée apporter une réponse.
Von Neumann appelle "process 1" ce choix de "poser une question" préalable à toute mesure quantique.
L'acte de mesure lui-même est décrit par l'équation de Schrôdinger, c'est le "process 2", que l'on appelle aussi "réduction de la fonction d'onde". 
Stapp résume en soulignant que tout acte d'observation en physique quantique dépend d'une question préalable portant sur le résultat attendu de cette observation (ou mesure).

L'apport de Von Neumann, puis de Stapp, est de faire entrer ce "process 1" - ce choix conscient - dans les équations de la physique quantique.

Le second point clé de la théorie d'Henry Stapp est ce que l'on appelle "d'effet Zénon quantique".

Le philosophe grec Zénon nous a légué moult paradoxes propres à stimuler la réflexion, en particulier sur la nature de l'espace et du temps. Ainsi, si l'on observe une flèche tirée d'un arc pendant un temps très court, au cours duquel elle n'occupe finalement que son propre espace, on peut considérer que cette flèche est immobile pendant cet instant. Si l'on applique le raisonnement à chaque instant, la flèche est totalement immobile !

Par analogie, on appelle "effet Zénon quantique" une situation où l'on "fige" l'état d'une particule atomique instable en l'observant en continu. Si l'observation est maintenue, la particule ne se désintègre pas. Stapp propose que cet effet est précisément ce qui est produit par l'effort conscient d'attention dont tout un chacun est capable par sa seule volonté. L'attention consciente "maintient" en place un modèle d'activation neuronale qui s'impose à un fonctionnement "automatique".

Quand la conscience modèle le cerveau

Pour appuyer son raisonnement, Stapp mentionne les cas où un acte conscient est capable de volontairement modifier la façon dont l'information est traitée, et modifie finalement les mécanismes cérébraux qui sont impliqués.

 On parle de neuroplasticité dirigée, appliquée à des états pathologiques, par exemple le traitement des Troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ou des phobies. Si le cerveau des personnes atteintes par ces troubles fonctionne de façon "automatique", le TOC ou la phobie prennent le dessus. Mais, grâce aux thérapies cognitives et comportementales, on peut amener le fonctionnement mental du sujet à reprendre le contrôle. Et l'imagerie cérébrale par IRM pourra montrer qu'un réseau neurologique sain s'est remis en place, se substituant au réseau pathologique, qui "tournait en boucle".

C'est un cas où "d'effort mental conscient" influe sur le fonctionnement du cerveau.

Un autre exemple de contrôle mental conscient exercé sur un fonctionnement cérébral automatique est donné par des expériences où l'on soumet des personnes à des images érotiques. En l'absence d'effort conscient, le système limbique est sollicité et le sujet est sexuellement excité. Mais celui-ci est capable de ne pas ressentir l'excitation par un effort conscient délibéré. Au passage, ce genre de capacité nous distingue des animaux.

Selon Henry Stapp, expliquer ce comportement en termes de mécanismes cérébraux est une contrainte forte et contre-intuitive. C'est bien l'état mental qui prime dans ce cas sur l'état cérébral.

Remarquons pour finir que l'attention consciente est la base de certains types de méditation qui consistent à être conscient de ce qui se produit en nous et autour de nous, sans attribution émotionnelle ni jugement intellectuel, et qui requièrent un effort constant.

Une hypothèse de travail est que cette attention module l'activité du cortex préfrontal. Nous avons à nouveau une action de l'esprit qui se traduit physiquement. Ainsi, la façon dont une personne dirige son attention modifie à la fois son expérience consciente et son état cérébral .

       Par Mireille DUFOUR (13/03/2013) 

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